Le gain qui est une perte
Le Christ enseignait et, comme à l’accoutumée, un groupe s’était formé autour de ses disciples. Le Maître venait précisément de parler à ceux-ci des scènes auxquelles ils devaient bientôt participer. Ils allaient être appelés à répandre les vérités qu’il leur avait confiées, et se trouveraient aux prises avec les grands de ce monde. A cause de lui, ils seraient traduits en justice et comparaîtraient devant des magistrats et des rois. Mais ils recevraient une sagesse à laquelle nul ne pourrait tenir tête. Ses paroles, qui touchaient le cœur des foules et confondaient ses rusés adversaires, témoignaient de la puissance de l’Esprit qui habitait en lui et qu’il avait promise à ses disciples.
Mais beaucoup n’aspiraient aux grâces du ciel que pour un but égoïste. Ils reconnaissaient la merveilleuse puissance qui agissait par le Christ pour exposer clairement la vérité. Ils savaient qu’il avait promis à ses disciples la sagesse nécessaire pour comparaître devant les gouverneurs et les magistrats. Ne mettrait-il pas également son pouvoir à la disposition de leurs visées temporelles?
“Quelqu’un dit à Jésus, du milieu de la foule: Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage.”1 Par Moïse, Dieu avait donné des lois touchant la transmission de l’héritage. Le fils aîné devait recevoir une portion double des biens paternels, tandis que chacun de ses frères plus jeunes avait droit à une part égale de ce qui restait.2 Cet homme estimait que son frère l’avait lésé dans le partage de leurs biens. Il n’avait pas réussi à obtenir ce qu’il croyait être son dû. Mais, se disait-il, si le Christ consentait à intervenir, il aurait sans doute gain de cause. Il avait entendu les vibrants appels de Jésus et ses solennelles condamnations à l’égard des scribes et des pharisiens. S’il s’adressait à son frère avec la même autorité, celui-ci n’oserait sans doute plus refuser de partager.
Luc 12:13.
Deutéronome 21:17.
C’est au milieu des instructions solennelles du Christ que cet homme vint exhiber son égoïsme. Il voyait tout le parti qu’il pourrait tirer de la puissance du Seigneur en vue de ses intérêts matériels; mais les vérités spirituelles n’avaient eu aucune prise sur son esprit et sur son cœur. Il n’avait qu’une idée en tête: prendre possession de son héritage. Jésus, le Roi de gloire, s’était fait pauvre pour nous, de riche qu’il était, et il offrait à cet homme les trésors de l’amour divin. Le Saint-Esprit le sollicitait de s’assurer “un héritage qui ne se peut ni corrompre, ni souiller, ni flétrir”.3 Il avait eu des preuves de la puissance du Christ. Maintenant, l’occasion se présentait à lui de s’adresser au grand Maître pour lui exprimer ses désirs les plus chers. Mais, comme l’un des personnages du “Voyage du Pèlerin” de Bunyan, ses yeux étaient fixés sur la terre, il n’apercevait pas la couronne qui était sur sa tête. Comme Simon le magicien, il considérait les dons de Dieu comme un moyen d’acquérir des biens terrestres.
1 Pierre 1:4.
La mission du Christ ici-bas touchait à son terme. Il ne restait plus au Sauveur que quelques mois pour achever l’œuvre qu’il était venu accomplir en vue de l’établissement du royaume de sa grâce. Cependant, la cupidité humaine s’efforçait de l’en détourner pour l’entraîner dans une dispute au sujet d’un lopin de terre. Mais Jésus ne se laissa pas détourner de sa mission. “O homme, répondit-il, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages?”4
Luc 12:14.
Il aurait pu dire à cet homme exactement ce que demandait la justice. Il connaissait le cas. Mais les frères se disputaient parce que l’un et l’autre étaient avares. Le Christ dit virtuellement: “Il ne m’appartient pas de régler des différends de ce genre.” Il était venu dans une tout autre intention: prêcher l’Evangile et réveiller chez les êtres humains un sens des réalités éternelles.
L’attitude du Christ en présence d’une situation comme celle-là est une leçon pour tous ceux qui exercent un ministère en son nom. Voici le mandat qu’il a donné aux douze en les envoyant dans le monde: “Allez, prêchez, et dites: Le royaume des cieux est proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.”5 Les apôtres ne devaient pas s’occuper des différends d’ordre purement temporel. Leur mission consistait à persuader les hommes d’accepter la réconciliation avec Dieu.
Matthieu 10:7, 8.
C’est en s’appliquant à cette tâche qu’ils pouvaient être en bénédiction à l’humanité. Le Christ: voilà l’unique remède pour les péchés et les douleurs des hommes. Seul l’Evangile de la grâce a la puissance de guérir les maux qui rongent la société. L’injustice du riche à l’égard du pauvre et la haine de celui-ci envers le riche ont toutes deux leurs racines dans l’égoïsme, et l’on ne parvient à extirper celui-ci qu’en se soumettant à Jésus-Christ. Lui seul peut donner, en échange d’un cœur égoïste, un cœur à nouveau capable d’aimer. Que les serviteurs du Christ prêchent donc l’Evangile avec l’Esprit qui leur est envoyé du ciel et qu’ils travaillent comme leur Maître au bonheur de l’humanité, en exerçant sur elle une influence bienfaisante et ennoblissante. Ils constateront alors des résultats qu’il serait impossible d’obtenir par la seule puissance humaine.
Notre Seigneur s’attaqua à la racine du problème qui troublait cet homme, et régla tous les litiges analogues: “Gardez-vous avec soin de toute avarice; car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, fût-il dans l’abondance.
”Et il leur dit cette parabole: Les terres d’un homme riche avaient beaucoup rapporté. Et il raisonnait en lui-même, disant: Que ferai-je? car je n’ai pas de place pour serrer ma récolte. Voici, dit-il, ce que je ferai: j’abattrai mes greniers, j’en bâtirai de plus grands, j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens; et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années; repose-toi, mange, bois, et te réjouis. Mais Dieu lui dit: Insensé! Cette nuit même ton âme te sera redemandée; et ce que tu as préparé, pour qui sera-t-il? Il en est ainsi de celui qui amasse des trésors pour lui-même, et qui n’est pas riche pour Dieu.”6
Luc 12:15-21.
Par la parabole du riche insensé, le Christ mit en évidence la folie de ceux qui placent toutes leurs affections dans les biens de ce monde. Cet homme avait tout reçu de Dieu: le soleil avait brillé sur ses terres, car celui-ci éclaire de ses rayons les bons et les méchants, et les ondées du ciel tombent sur le champ de l’injuste comme sur celui du juste. Le Seigneur avait fait prospérer la végétation et avait accordé à ce propriétaire des récoltes abondantes. Ses greniers regorgeaient, et il était perplexe, car il n’avait pas de place pour loger le surplus du produit de ses champs. Il ne pensait pas à Dieu qui l’avait comblé de tous ces biens. Il oubliait que le Seigneur l’avait établi administrateur de ces richesses pour venir en aide aux nécessiteux. Il avait là une belle occasion d’être un généreux dispensateur entre les mains de Dieu, mais il ne pensait qu’à ses aises.
Son attention s’était portée sur la situation des pauvres, des orphelins, des veuves, des malades et des affligés: autant de cas qui demandaient son assistance. Il aurait pu facilement se décharger d’une partie de son superflu, et mettre ainsi de nombreuses familles à l’abri du besoin; bien des affamés auraient pu être rassasiés; ceux qui n’avaient pas de vêtements auraient pu se vêtir; il aurait pu rendre heureux bien des cœurs, exaucer lui-même de nombreuses requêtes. Un concert de louanges serait ainsi monté vers le ciel. Le Seigneur avait entendu les prières des malheureux et, dans sa bonté, il leur avait préparé le nécessaire.7 Il avait été pourvu abondamment aux besoins de plusieurs par les bénédictions accordées à l’homme riche. Mais celui-ci avait fermé son cœur au cri des pauvres. Il avait dit à ses serviteurs: “Voici ce que je ferai: j’abattrai mes greniers, j’en bâtirai de plus grands, j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens; et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années; repose-toi, mange, bois, et te réjouis.”
Psaumes 68:11.
Les aspirations de ce riche n’étaient pas plus élevées que celles des animaux. Il vivait comme s’il n’y avait ni Dieu, ni ciel, ni vie à venir; comme si tout ce qu’il possédait lui appartenait en propre, et qu’il ne doive rien ni à Dieu ni aux hommes. C’est un homme de ce genre que le psalmiste décrit dans ce passage: “L’insensé dit en son cœur: Il n’y a point de Dieu!”8
Psaumes 14:1.
Ce propriétaire vivait et concevait des plans pour lui seul. Il veillait à ce que son avenir soit largement assuré, et il ne pensait qu’à accumuler le fruit de ses travaux pour en jouir. Il se considérait comme le plus favorisé des hommes, et il en attribuait la gloire à sa prévoyance et à son savoir-faire. Il était honoré par ses concitoyens comme un homme judicieux et prospère — car “on te louera, si tu te fais du bien”.9
Psaumes 49:18 (V. Darby).
Mais “la sagesse de ce monde est une folie devant Dieu”.10 Tandis que le riche se promet des années de plaisir, Dieu fait des plans tout différents. Il adresse à cet économe infidèle ce message: “Insensé! cette nuit même ton âme te sera redemandée.” L’argent ne pourra rien contre une pareille sentence, et les biens qu’il a accumulés ne sauraient lui accorder aucun sursis. En un instant, ce qu’il a amassé au prix du travail de toute une vie pour se mettre à l’abri du besoin lui devient inutile. “Ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il?” Ses champs immenses, ses greniers bien remplis lui échappent. “Il amasse, et il ne sait qui recueillera.”11
1 Corinthiens 3:19.
Psaumes 39:7.
Il ne s’est pas assuré la seule chose qui pourrait maintenant lui être utile. Dans son égoïsme, il a repoussé l’amour de Dieu qui se serait répandu sur les autres par des actes de miséricorde. Il a ainsi rejeté la vie — car Dieu est amour et son amour est vie. Ce riche a préféré le terrestre au spirituel, et il doit disparaître avec ce qui est terrestre. “L’homme qui est en honneur, et qui n’a pas d’intelligence, est semblable aux bêtes que l’on égorge.”12
Psaumes 49:20.
“Il en est ainsi de celui qui amasse des trésors pour luimême, mais qui n’est pas riche pour Dieu.” Ce tableau correspond à une réalité de tous les temps. Vous pouvez faire des plans en vue de votre avantage personnel, accumuler des trésors, édifier de grandes et hautes bâtisses, comme l’ont fait les fondateurs de l’antique cité de Babylone; mais vous ne pourrez jamais construire des murailles assez élevées et des portes assez solides pour barrer la route aux messagers du jugement. “Le roi Belschatsar donna un grand festin à ses grands”, et il loua “les dieux d’or, d’argent, d’airain, de fer, de bois et de pierre”. Mais la main d’un Etre invisible inscrivit sa condamnation sur la paroi, et l’on ne tarda pas à entendre les pas des soldats ennemis aux portes du palais. “Cette même nuit, Belschatsar, roi des Chaldéens, fut tué”,13 et un monarque étranger s’assit sur le trône.
Daniel 5:30.
Vivre pour soi, c’est périr. L’avarice, le désir d’un profit personnel immédiat, sépare l’âme de la source de la vie. C’est l’esprit de Satan qui persuade l’homme d’amasser et d’accaparer des biens, tandis que celui de Jésus-Christ invite à la générosité et au sacrifice en faveur des autres. “Et voici ce témoignage, c’est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et que cette vie est dans son Fils. Celui qui a le Fils a la vie; celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie.”14
1 Jean 5:11, 12.
C’est la raison pour laquelle il a dit: “Gardez-vous avec soin de toute avarice; car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, fût-il dans l’abondance.”
Un grand abîme
Dans la parabole du riche et de Lazare, le Christ montre que c’est dans cette vie que les hommes fixent leur destinée éternelle. Durant ce temps de grâce, le pardon de Dieu est offert à tous. Mais ceux qui le refusent pour se complaire en eux-mêmes se coupent de la vie éternelle. Aucun temps de grâce supplémentaire ne leur sera accordé. Par leur propre choix, ils auront creusé un abîme infranchissable entre eux et leur Dieu.
Cette parabole établit un contraste entre les riches qui n’ont pas pris Dieu comme appui et les pauvres qui ont mis en lui leur confiance. Le Christ fait comprendre que le temps viendra où leur position respective sera inversée. Ceux qui sont pauvres en biens de ce monde, mais qui se confient en Dieu et se montrent patients dans l’affliction, seront un jour élevés bien au-dessus de ceux qui occupent maintenant les plus hautes positions que le monde puisse offrir, mais qui ne se soumettent pas à la volonté de Dieu.
“Il y avait un homme riche, dit le Christ, qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour menait joyeuse et brillante vie. Un pauvre, nommé Lazare, était couché à sa porte, couvert d’ulcères, et désireux de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche.”1
Luc 16:19-21.
Ce riche n’appartenait pas à la catégorie du juge inique, qui affichait ouvertement son mépris pour Dieu et les hommes. Il se disait fils d’Abraham. Il ne traitait pas le mendiant avec rudesse, il ne lui disait pas de s’éloigner de lui parce que sa vue l’importunait. Si ce pauvre et repoussant spécimen de l’humanité pouvait retirer quelque soulagement à le voir passer, le riche voulait bien tolérer qu’il reste à sa porte. Mais il était égoïstement indifférent aux besoins de son frère souffrant.
A cette époque, les hôpitaux n’existaient pas. Les malades et les nécessiteux étaient exposés aux regards de ceux auxquels Dieu avait confié des biens, afin de recevoir d’eux secours et sympathie. Il en était ainsi du mendiant et du riche. Lazare avait grand besoin d’aide, car il était sans ami, sans foyer, sans ressources, sans pain. Il était réduit jour après jour à une triste existence, alors que le riche avait tout ce qu’il désirait. Celui qui pouvait fort bien soulager la misère de ce malheureux vivait pour lui-même, comme le font encore de nos jours beaucoup de gens.
Il ne manque pas de personnes aujourd’hui, tout près de nous, qui souffrent de la faim, qui manquent de vêtements et qui sont sans foyer. Celui qui ne partage pas avec ceux qui sont dans le besoin se charge d’une faute dont il devra un jour rendre compte en tremblant. Toute avarice est condamnée comme étant de l’idolâtrie, et toute manifestation d’égoïsme offense le Seigneur.
Dieu avait établi le riche comme administrateur de ses biens, aussi celui-ci devait-il venir en aide aux malheureux qui se trouvaient dans le cas de Lazare. Cet ordre avait été donné: “Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force”, et celui-ci: “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.”2 Le riche était Juif et il connaissait les commandements de Dieu; mais il oubliait qu’il devrait répondre de l’usage des biens et des talents qui lui avaient été confiés. Le Seigneur avait répandu sur lui d’abondantes bénédictions, mais il les employait égoïstement pour sa propre gloire et non pour celle de son Créateur. Il aurait dû employer ses biens au service de l’humanité, selon l’abondance des richesses qu’il avait reçues. C’était là le commandement de Dieu, mais le riche ne se souciait guère de ses devoirs envers lui. Il prêtait de l’argent et en exigeait l’intérêt, mais il ne donnait au Seigneur aucun intérêt pour ce qu’il lui avait confié. Il possédait des connaissances et des talents, mais il ne les faisait pas fructifier. Oubliant les comptes qu’il devait rendre, il s’adonnait entièrement aux plaisirs. Tout ce qui l’entourait: amusements, louanges et flatteries de ses compagnons, tout contribuait à ses joies égoïstes. Il se laissait tellement absorber par la société de ses amis qu’il perdait tout sentiment de la responsabilité qui lui incombait de collaborer avec Dieu dans son ministère de miséricorde.
Deutéronome 6:5; Lévitique 19:18.
Il avait l’occasion de comprendre la parole de Dieu et de mettre en pratique ses enseignements; mais la joyeuse compagnie dans laquelle il se plaisait occupait une si grande partie de son temps qu’il en oubliait l’Eternel.
Il vint un moment où la condition de ces deux hommes changea. Le pauvre Lazare avait souffert jour après jour, mais il avait tout supporté sans se plaindre; il finit par mourir et fut enseveli. Personne ne pleura sa mort; mais par sa patience dans les douleurs, il avait été un témoin du Christ, il avait enduré l’épreuve de sa foi, et il nous est montré comme étant porté par les anges en présence d’Abraham.
Lazare représente le pauvre qui a la souffrance en partage, mais qui croit en Jésus. Lorsque la trompette sonnera et que tous les saints qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Christ et en sortiront, ils recevront leur récompense; car leur foi en Dieu n’aura pas été une simple théorie, mais une vivante réalité.
“Le riche mourut aussi, et il fut enseveli. Dans le séjour des morts, il leva les yeux; et, tandis qu’il était en proie aux tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein. Il s’écria: Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau et me rafraîchisse la langue; car je souffre cruellement dans cette flamme.”3
Luc 16:22-24.
Dans cette parabole, le Christ rencontrait ses auditeurs sur leur propre terrain. La doctrine de l’état conscient de l’âme humaine entre la mort et la résurrection était celle d’un bon nombre de ses auditeurs. Le Sauveur, ayant connaissance de cette théorie, adapta sa parabole de manière à leur inculquer des vérités importantes en se servant de leurs idées préconçues. Il plaçait devant ses auditeurs un miroir où ils pouvaient se voir dans leurs véritables rapports avec Dieu. Partant de l’opinion générale, il mettait en relief une vérité qu’il voulait enseigner à tous: la valeur de l’homme ne dépend pas de l’importance de sa fortune, car tout ce qu’il possède lui est seulement prêté par le Seigneur; l’abus de ces dons le placera au-dessous de l’homme le plus pauvre et le plus affligé qui aime Dieu et met sa confiance en lui.
Le Christ désire faire comprendre à la foule qu’il est impossible de faire son salut après la mort. Il met dans la bouche d’Abraham la réponse suivante: “Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et que Lazare a eu les maux pendant la sienne; maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres. D’ailleurs, il y a entre nous et vous un grand abîme, afin que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous, ou de là vers nous, ne puissent le faire.”4 Jésus montre ainsi que c’est en vain qu’on attendrait un nouveau temps de grâce après la mort. Cette vie est le seul temps accordé à l’homme en vue de se préparer pour l’éternité.
Luc 16:25, 26.
Le riche n’a pas perdu de vue qu’il est enfant d’Abraham, et dans sa détresse, c’est à lui qu’il adresse ses cris: “Père Abraham, aie pitié de moi.” Il n’adresse pas sa prière à Dieu. Il montre ainsi qu’il place Abraham au-dessus de Dieu, et qu’il compte, pour son salut, sur le fait qu’il descend de ce patriarche. Le larron sur la croix, lui, invoqua le Christ: “Souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne.”5 La réponse ne se fit pas attendre: “Je te le dis en vérité aujourd’hui [tandis que je suis sur cette croix d’ignominie et de souffrance], tu seras avec moi dans le paradis.6 Mais le riche adresse sa prière à Abraham et n’est pas exaucé. Jésus seul a été élevé comme “Prince et Sauveur, pour donner à Israël la repentance et le pardon des péchés”. “Il n’y a de salut en aucun autre.”7
Luc 23:42.
Luc 23:43.
Actes 5:31; 4:12.
Pendant sa vie, le riche n’a songé qu’à ses plaisirs. Il s’aperçoit trop tard qu’il ne s’est pas préparé pour l’éternité. Dès qu’il se rend compte de sa folie, il pense à ses frères qui suivent la même voie et ne cherchent que leurs satisfactions présentes. Il supplie donc le patriarche en ces termes: “Je te prie, père Abraham, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père; car j’ai cinq frères. C’est pour qu’il leur atteste ces choses, afin qu’ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourments. Abraham répondit: Ils ont Moïse et les prophètes; qu’ils les écoutent. Et il dit: Non, père Abraham, mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils se repentiront. Et Abraham lui dit: S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu’un des morts ressusciterait.”8
Luc 16:27-31.
Quand le riche demande un témoignage supplémentaire pour ses frères, il lui est clairement affirmé que même ainsi ces derniers ne se laisseraient pas persuader. Sa requête constitue un reproche adressé à Dieu. Il semble dire: “Si j’avais été mieux averti, je ne me trouverais pas maintenant dans ce lieu.” Abraham lui répond en substance: “Tes frères ont été suffisamment avertis. La lumière leur a été donnée, mais ils n’ont pas voulu voir; la vérité leur a été présentée, mais ils n’ont pas voulu entendre.”
“S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu’un des morts ressusciterait.” L’histoire du peuple juif atteste la véracité de cette déclaration. Le dernier des miracles du Christ — en quelque sorte le couronnement de son œuvre — fut la résurrection de Lazare de Béthanie, quatre jours après sa mort. Cette confirmation merveilleuse de la divinité du Messie fut donnée aux Juifs, mais ils la rejetèrent. Lazare revint à la vie et rendit devant eux son témoignage, mais, fermant leurs cœurs à l’évidence, ils songèrent même à le faire mourir.9
Jean 12:9-11.
La loi et les prophètes sont les instruments choisis par Dieu pour assurer le salut des êtres humains. Le Christ déclare: Qu’ils prennent garde à cette révélation! S’ils ne sont pas attentifs à la voix de Dieu dans sa parole, un homme qui se relèverait d’entre les morts ne saurait les convaincre.
Ceux qui écoutent Moïse et les prophètes n’ont pas besoin d’une autre lumière: celle que Dieu leur a donnée suffit. Si quelqu’un la refuse et n’apprécie pas les occasions offertes par le ciel, il ne prêterait pas plus d’attention au message d’un ressuscité. Cette nouvelle preuve n’aurait pas plus d’efficacité que les précédentes; car ceux qui rejettent la loi et les prophètes ont le cœur tellement endurci qu’ils repousseraient toute autre lumière.
L’entretien entre Abraham et celui qui avait été autrefois un homme riche est une prosopopée. Une leçon s’en dégage: chacun a reçu assez de lumière pour faire ce que Dieu attend de lui. Les responsabilités de l’homme sont proportionnées aux occasions et aux privilèges qui lui sont accordés. Le Seigneur donne à tous clarté et grâce en suffisance pour accomplir l’œuvre assignée. Quelqu’un se dérobe-t-il aux devoirs que lui révèle le peu de lumière qu’il a reçu? Il se montrerait plus infidèle encore et plus indifférent à l’égard des bénédictions dont il est l’objet si des lumières plus grandes lui étaient dispensées. “Celui qui est fidèle dans les moindres choses l’est aussi dans les grandes, et celui qui est injuste dans les moindres choses l’est aussi dans les grandes.”10 Ceux qui refusent de se laisser éclairer par Moïse et les prophètes, et qui réclament de grands miracles, ne seraient pas convaincus si leurs désirs étaient satisfaits.
Luc 16:10.
La parabole du riche et de Lazare montre comment les catégories d’individus représentées par ces deux hommes sont considérées dans le monde invisible. La richesse n’est pas un péché si elle a été acquise honnêtement. Un riche n’est pas condamné parce qu’il a beaucoup de ressources, mais parce qu’il en use avec égoïsme. Il ferait infiniment mieux de les placer près du trône de Dieu en s’en servant pour faire du bien. La mort ne peut appauvrir celui qui s’est consacré à la recherche des valeurs éternelles, mais celui qui accumule une fortune pour lui seul n’en pourra rien emporter au ciel. Il a prouvé qu’il était un administrateur infidèle; il a joui de ses biens pendant sa vie, mais il a oublié ses obligations envers Dieu. Il ne s’est pas constitué un trésor dans le ciel.
L’homme riche qui a eu tant de privilèges aurait dû faire valoir ses talents de telle sorte qu’ils portent du fruit jusque dans la vie éternelle. Le but de la rédemption est non seulement d’effacer le péché, mais encore de rendre à l’homme les dons spirituels qui lui ont été ravis par la puissance amoindrissante du péché. On ne saurait emporter de l’argent dans l’au-delà; il n’y serait du reste d’aucune utilité. Seuls les actes accomplis pour gagner des âmes au Christ nous suivent dans les parvis célestes. Ceux qui emploient les dons du Seigneur uniquement pour leur satisfaction personnelle, qui ne viennent pas en aide à leurs semblables et qui ne contribuent en rien à la progression de l’œuvre de Dieu dans ce monde, déshonorent leur Créateur. Coupables de vol envers Dieu: voilà ce qui est écrit dans les livres du ciel en face de leur nom.
L’homme riche avait tout ce que l’argent peut donner, mais il ne possédait pas le genre de capital nécessaire pour maintenir son compte en règle avec Dieu. Sa vie s’était déroulée comme si tout ce qu’il avait lui appartenait. Il avait négligé l’appel divin aussi bien que les droits de l’humanité souffrante. Mais il reçut un jour un appel qu’il ne put repousser: une puissance qui n’admettait aucune réplique lui intima l’ordre de quitter les biens dont l’administration lui était retirée. L’homme autrefois fortuné se voit maintenant précipité dans une pauvreté irrémédiable. Il ne revêtira jamais la robe de la justice du Christ, cette robe tissée sur les métiers du ciel. Auparavant vêtu de pourpre et de fin lin, il est réduit à la nudité. Son temps de grâce est terminé. Il n’a rien apporté en entrant dans le monde, il n’emportera rien en le quittant.